Les Plus Belles Histoires de l'escroquerie. Du collier de la reine à l'affaire Madoff by Christian Chavagneux

Auteur:Christian Chavagneux [Chavagneux, Christian]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2019-11-26T06:07:48+00:00

LA PROPOSITION DE KREUGER : UN DÉBAT SUR LA MONDIALISATION

Au moment où s’ouvre ce débat, le monopole français des allumettes ne se porte pas très bien face à la concurrence internationale. Ses équipements sont vieillots et il n’est pas très productif, mais il rapporte encore de l’argent à l’État. Quelle stratégie suivre pour le redynamiser ? Poincaré propose d’utiliser les transferts de technologie venant d’un investisseur étranger dont la firme est en pointe au niveau mondial. La gauche propose pour sa part d’accroître la productivité du monopole grâce à des investissements publics.

Poincaré prend bien soin de marteler qu’il ne souhaite en aucun cas privatiser complètement la production d’allumettes. Il suggère la mise en place d’un affermage sur vingt ans, dans lequel l’État conserve son mot à dire sur le prix des produits, avec la création d’une société dans laquelle le ministère des Finances dispose de cinq administrateurs sur dix, tout le personnel conservant le statut de fonctionnaire. Mais pour la gauche, qui a étudié le texte en détail, la répartition des profits est déséquilibrée : elle est en faveur de Kreuger, dont les machines devront être achetées et donc importées. Une fois le Suédois installé, il sera difficile de lui refuser des hausses de prix des allumettes car, plus il fera de profits, plus les recettes budgétaires augmenteront et, ayant observé l’implantation de Kreuger à l’étranger, les députés ont bien vu qu’il n’hésitait pas à augmenter fortement les prix.

Affermer le monopole, c’est perdre une bataille contre un puissant intérêt étranger. « C’est une lutte de puissances. C’est un conflit de pouvoir à pouvoir. Le plus fort impose sa volonté à l’autre, même après contrat, s’exclame le député socialiste Marius Moutet. – Qu’en savez-vous ? rétorque Poincaré. – Nous en savons tout ce que nous enseigne l’histoire économique du capitalisme ! » réplique Moutet. Les communistes et leur journal L’Humanité mènent une virulente campagne contre Kreuger – ce « Napoléon des allumettes » – et son empire.

Pourquoi transformer un monopole public en monopole privé ? demande la gauche. Le gouvernement ne propose pas d’aller vers plus de concurrence mais de se séparer d’un fleuron français. Il serait plus profitable d’investir dans de nouvelles machines – exemple à l’appui, un député montre que la productivité s’est accrue lorsque cela a été fait – et de planter des trembles qui font de bons bois d’allumettes. « Il ne suffit pas de planter, il faut que l’arbre pousse », répond Poincaré, et cela prend trop de temps. Et « planter à mon âge ! » ajoute malicieusement le président du Conseil.

Plus sérieusement, la situation budgétaire française est tout orientée vers les économies, non vers l’investissement public réclamé par la gauche. De plus, il faudrait que l’État importe des machines. Cependant, les meilleures au monde sont celles de Kreuger, qui refusera de nous les vendre, argumente Poincaré. Et même s’il nous les vendait, elles augmenteraient la productivité, ce qui se traduirait par des pertes d’emplois. Pour que ce ne soit pas le cas, il faudrait que le chiffre d’affaires se développe beaucoup grâce aux exportations.

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